Ryuhei Kitamura : A LA HAUTEUR DU MYTHE

 

Révélé en France par Versus, son 3ème film, tourné en 2000, oeuvre mêlant gore et trash, visiblement inspirée d’Evil Dead et dont il prépare le second volet, Ryuhei Kitamura est l’auteur de plusieurs autres longs-métrages fantastiques inédits dans l’hexagone tels Aragami, Alive ou Sky High. La décision des producteurs de la Toho de confier à ce jeune cinéaste subversif la destinée d’un Godzilla, au demeurant destiné à être le dernier de la lignée, semblait à priori surprenante, tant cette série, au fil des ans, s’est enlisée dans le conformisme et la routine, malgré de rares réussites tel Godzilla Vs. King Ghidorah (1991). Pourtant en optant pour ce réalisateur hors norme, ils semblent avoir réussi à insuffler une nouvelle jeunesse à la saga. Le charisme des interprètes (Masahiro Matsuoka en tête, mais aussi certains vétérans de cette franchise), l’humour volontaire (le personnage de bande dessinée campé par le lutteur Don Frye), l’atmosphère crépusculaire et souvent nihiliste de l’œuvre, la présence des principaux monstres géants de la série (même l’insupportable Minilla, alias le « fils » de Godzilla), le choix insolite (mais efficace) du compositeur Keith Emerson (Inferno) sont autant d’atouts, qui contribuent à faire de cet opus le meilleur depuis bien longtemps. Les fans seront comblés par les réminiscences qu’évoque ce film, quant aux autres, gageons qu’ils apprécieront de découvrir l’univers fantasque des Kaiju Eigas, dont Gojira, dernier représentant en date à avoir été diffusé sur nos écrans nationaux, remonte quand même à 1984 ! Si la sortie de Godzilla: Final Wars constitue donc un véritable événement pour les nostalgiques d’une époque révolue, nul doute qu’elle offre aussi aux néophytes un passionnant aperçu sur une production unique en son genre où le cinéma populaire se décline avec une rafraîchissante naïveté au charme fou. Quelles que soient ses évidentes qualités, le Godzilla américain de Roland Emmerich est plus proche du The Beast From 20 000 Fathoms d’ Eugéne Lourié que d’un Godzilla de la Toho.

 

Avant d’entamer Godzilla: Final Wars, étiez-vous un fan de la série ?

 

Je ne suis pas un inconditionnel. En fait, Terror of Mecha Godzilla (Inoshiro Honda) qui fut le premier que j’ai vu, date de 1975. Jusque-là, je n’aimais guère le cinéma japonais que je trouvais ennuyeux, et ce sont surtout les films hollywoodiens et australiens qui m’ont influencé. En le découvrant à l’âge de 12/13 ans, lors d’une rétrospective, je me suis dit : « mais c’est génial, il y a aussi des films japonais vraiment amusants ! ». J’ai aimé l’idée que Godzilla puisse être aussi dévastateur et que l’on s’y attache cependant.

 

De la nostalgie à l’innovation

 

Quelle a été votre réaction lorsque l’on vous a soumis ce projet et comment pensiez-vous l’aborder ?

 

Quand le producteur, Shogo Tomiyama, m’a proposé de faire ce film, ma première réaction a été : « c’est bien à moi qu’il demande cela ?! ». N’étant pas de ces cinéastes qui répondent à des commandes, car je suis très indépendant, j’étais réellement surpris, mais le producteur avais l’air tout à fait sérieux. Et j’ai accepté, convaincu qu’il serait absurde de refuser une telle offre. Concernant mes intentions, elles étaient guidées par deux facteurs : la commémoration des 50 ans de Godzilla et le fait qu’il devait s’agir du dernier volet de la série. Donc une sorte de best of de Godzilla. Néanmoins, je voulais qu’il puisse être radicalement différent des précédents. Et quand le film a été projeté en Première Mondiale aux Etats-Unis, les journalistes m’ont dit qu’ils l’avaient justement perçu de la sorte. Un sentiment simultané entre un produit complètement novateur mais aussi très nostalgique.

 

Sur quelles bases avez-vous collaboré avec le scénariste Isao Kiriyama qui travailla préalablement sur vos autres films ?

 

En fait, le scénario a été écrit par deux personnes, dont Kiriyama et Wataru Mimura qui avait déjà participé à d’autres Godzilla (Godzilla Vs. Mecha Godzilla II (1993), Godzilla 2000 Millennium (1999), Godzilla Vs. Megaguirus (2000), Godzilla Vs. Mecha Godzilla III (2002)). Et c’est d’ailleurs lui qui a rédigé le concept et la trame de ce film. Personnellement, je n’aime pas trop les Godzilla  postérieurs aux années 80 auxquels je préfère ceux des décennies 60 et 70, plus énergiques et passionnés, ce qui n’était pas le cas du script original de Mimura. J’ai donc voulu m’approprier partiellement son scénario pour l’adapter d’avantage à mon univers. C’est alors que j’ai sollicité Kiriyama qui outre son grand talent, me connaît bien en raison de nos expériences communes, et partage mes visions professionnelles. Je pensais que le travail conjugué de ces deux auteurs alliant tradition et renouveau serait profitable au sujet. Ce que Kiriyama et moi avons apporté entre autres, c’est le personnage du capitaine Gordon – un de ceux que j’adore ! -, ou la séquence finale avec Minilla.

 

 

Le capitaine Gordon est un individu savoureux et drôle : expliquez-nous ce choix et celui de Don Frye qui l’interprète…

 

En fait Gordon, c’est un peu mon alter ego. C’est quelqu’un qui ne renonce jamais quand tous les autres ont déjà déclaré forfait. Lui, il arrive avec une idée absolument impensable et ose des choses que nul autre n’envisagerait. Il a un caractère  proche du mien, au sens ou moi aussi, par exemple au Japon, je tente des expériences inédites. Ainsi, la tendance acharné à démontrer le contraire. C’est pourquoi j’apprécie ce protagoniste et la situation du film révélant un monde et des hommes contrôlés par des extraterrestres, une situation assez déprimante, pour avoir l’idée de réveiller Godzilla. Une telle décision ne pouvait être prise par un personnage anodin qui le fasse, mais par un héros. En ce qui concerne le choix de l’acteur, j’ai opté pour Don Frye qui est un lutteur, parce que dans la vie, il se bat vraiment. Je suis allé le voir sur le ring, et il a deux visages : avant et pendant le tournoi. Il sait comment exalter le foule. Et puis il a une part de samouraï en lui, et c’est cet aspect qui a emporté mon adhésion.

 

Comment s’est déroulée sa première expérience à l’écran ?

 

Tout c’est très bien passé et nous sommes restés très bons amis. A u départ le producteur, inquiet, avait refusé cette proposition. Il disait que c’était un lutteur, non pas un acteur professionnel et qu’il serait incapable de tenir le rôle. Pour ma part, je pense qu’être acteur ce n’est pas seulement une affaire de technique, il y a aussi la capacité à pouvoir exprimer des choses que l’on ressent et que l’on a vécu. Et je crois qu’être un champion et le rester si longtemps, implique un entraînement et une volonté susceptibles d’aider à devenir acteur. Don Frye était lui-même inquiet parce qu’il avait été surpris par l’importance du rôle. J’ai su établir une relation de confiance qui a rejailli sur le résultat de son travail.

 

D’une manière général, la Toho vous a-t-elle laissé la liberté d’agir à votre guise ?

 

Oui, j’ai été très libre, ce qui est assez étonnant au Japon surtout avec une firme comme la Toho. Je pense qu’on peut le constater à la vision du film. J’ai vraiment travaillé comme je le souhaitais et lorsque j’ai voulu utiliser un chien, ils ont même accepté que ce soit le mien ! Mais j’ai rétorqué : « Non, j’ai un bouledogue français, mais il ne sait pas jouer ». Ils ont donc pris un chien rôdé aux impératifs de la scène (Rires). J’apparais aussi dans le film, d’ailleurs. J’ai également pu engager les acteurs et les techniciens que je voulais. Est-ce parce que l’on m’a fait confiance ou à défaut d’avoir pu me contrôler ? Je l’ignore. En tout cas, j’ai vraiment eu carte blanche.

 

Une fin qui justifie les moyens

 

Le film vous a-t il été soumis comme étant le dernier Godzilla, et est-ce dans ce sens que vous l’avez tourné ?

 

Oui, il m’a été proposé pour commémorer son cinquantenaire, et pour cette occasion, la Toho souhaitait produire le tout dernier film sur Godzilla. C’est donc dans cet esprits-là que je l’ai également réalisé. En revanche le producteur et moi n’avions pas le même point de vue. Il me disait : « Bon, on a déjà fait 27 Godzilla, il n’y a donc plus rien à inventer, on a déjà tout fait, et de toute façon Godzilla n’aura pas plus de succès ». Il était assez négatif. Alors que moi, je répliquais : « Non, vous n’avez pas tout exploité. Il y a encore des quantités de possibilités envisageables avec ce personnage ». Donc mon idée était tout à la fois de signer le dernier Godzilla, mais aussi de l’orienter vers une nouvelle voie en ouvrant des perspectives. Les spectateurs qui ont vu le film m’ont souvent dit que s’il concluait la saga Godzilla, il pouvait tout aussi bien en être un nouveau chapitre.

 

 

Pouviez-vous exploiter tous les monstres de la série Godzilla ?

 

En termes de droits, il n’y avait aucun problème, puisque la Toho en est seule détentrice, y compris pour le Godzilla produit aux Etats-Unis. Mais comme ils constituent une véritable armada, nous ne les avons pas tous exploités. En fait, avec le producteur et le scénariste, nous  avons examiné toutes les figurines, puis discuté pendant des heures sur ceux que nous allions choisir. Certains comme Rodan et Ghidorah étaient inévitables en raison de leur célébrité, puis intervenaient ensuite des goûts personnels et nous avons longuement débattu pour trouver un équilibre qui satisfasse les fans du monde entier.

 

Vous semblez avoir recouru à d’anciennes techniques d’effets spéciaux comme les transparences : en raison de contraintes particulières ?

 

Ce choix était délibéré de ma part. Je trouve que les films actuels débordent d’effets numériques et je voulais revenir à l’esprit qui les animait dans les années 70. Donc, il ne s’agit pas d’une contrainte imposée, mais d’un choix personnel visant à limiter l’utilisation des effets numériques pour préserver un aspect artisanal alimenté par la passion et l’énergie. Un brin de nostalgie porté par un esprit novateur. Par exemple, les Godzilla sont souvent éclairés à l’extrême alors qu’il y a pas mal d’ombre dans mon film.

 

Votre Godzilla et nombre d’autres monstres du film étant interprétés par des acteurs en costumes, quelle impression avez-vous éprouvé en découvrant ces créatures sur un plateau ?

 

En fait les scènes avec les monstres, et toutes celles qui comportent des effets spéciaux ont été tournées par un autre réalisateur selon la tradition au Japon. Dans le cas de ce film, la tâche a incombé au spécialiste Eiichi Asada (né en 1949, Eiichi Asada a fait ses débuts comme assistant caméraman sur Godzilla vs Megalon en 1973, et, après avoir été superviseur d’effets spéciaux, est devenu réalisateur de ces séquences avec Godzilla, Mothra, Mecha Godzilla III: Tokyo S.O.S. en 2003). Nous avons donc travaillé dans des studios différents. Tandis que je filmais les scènes avec les acteurs, Eiichi Asada s’est occupé de toutes celles qui impliquaient des monstres et des SFX. C’est une équipe parfaitement rodée qui gère ses aspects depuis des années. Sur la base du story-board, nous avons au départ beaucoup discuté de ma vision des choses, à savoir ma volonté d’utiliser des techniques traditionnelles mais de les rénover en peaufinant mouvements et combats. Ensuite, je leur ai totalement fait confiance.

 

Des monstres et des hommes en action  

 

Godzilla: Final Wars comporte également des extraterrestres, ce qui donne l’occasion de voir plusieurs combats de dimensions humaines : cet aspect visait-il à dynamiser le film ?

 

Mon film recèle diverses sortes d’actions : arts martiaux, poursuites, lutte motorisées, et combats entre hommes. La raison pour laquelle je déteste les récents Godzilla également réalisés par deux cinéastes, c’est que les scènes filmées entre les humains n’ont strictement aucun intérêt. Elles s’intercalent avec les plans de monstres, mais il n’y a entre les deux aucun véritable lien. Or, je voulais montrer des hommes luttant contre des créatures tout en m’assurant qu’elles s’intègrent à l’ensemble du récit.

 

Si Godzilla: Final Ward est le premier film de Don Frye. On y retrouve cependant des vétérans de la série, tel Akira Takarada…

 

C’est très important pour moi car je pense qu’il est très rare de pouvoir ainsi renouer avec un acteur qui 50 ans après avoir tenu le rôle principal dans le premier Godzilla pouvait encore camper un rôle vedette (né en 1934, Akira Takarada avait juste 20 ans dans le Godzilla d’Inoshiro Honda. On le retrouvera ensuite dans un certain nombre de films du cinéaste, tels Half Human, Mothra Vs. Godzilla, Frankenstein Conquers the World, Godzilla Vs. Monster Zero, King Kong Escapes et Lattitude Zero). Akira est un peu le Sean Connery  japonais et bien qu’il soit relativement âgé, il est toujours une star au Japon. Donc, quand sa participation a été confirmée, j’ai modifié le scénario pour donner à son rôle plus d’importance qu’il n’en avait initialement.

 

On retrouve également Kenji Sahara que l’on a découvert dans Rodan en 1956…

 

Oui, en fait dans ce film il y a trois acteurs vétérans : Akira Takarada, Kenji Sahara et l’actrice qui joue le rôle du commandant des forces Terrestres, Kumi Mizuno (Gorath, Godzilla Vs. Monster Zero, Matango, The Lost World of Sinbad, War of The Gargantuas, etc). Ce sont trois grands noms de la Toho, qui étaient déjà des stars bien avant que je ne sois né ! En ce qui concerne Kenji Sahara, il a pris son rôle de paléontologue très au sérieux. Extrêmement professionnel, sur le tournage parfois il me disait : « Mais je ne comprends pas bien le dialogue, comment je dois l’interpréter ? ». Et en fait en discutant, j’ai parfois, sur ses propositions, changé les dialogues. Notre collaboration s’est très bien passée et ce fut aussi le cas avec Kumi Mizuno. C’est une très grande actrice et curieusement, elle n’avait jamais joué un rôle où on lui tirait dessus. Elle appréhendait donc beaucoup cette scène et me disait : « j’ai peur, j’ai peur, je ne veux pas qu’on me tire dessus ! » (Rires). Elle a fini par accepter. On s’est beaucoup amusé du résultat. Et, à la fin du film, on voit cette scène bourrée de grosses explosions tandis qu’ils courent tous et cela s’est passé sur le plateau. Ils ont tous joué le jeu à fond.

 

Quelles ont été les principales difficultés sur ce tournage ?

 

Je n’ai pas rencontré de problèmes majeurs sur ce film. Ce que je veux, c’est faire à chaque fois des choses différentes, repousser les limites. Donc c’est ce que je dis à toute mon équipe, et je lui insuffle la direction à suivre. Cette fois, je voulais faire un Godzilla comme on n’en  avait encore jamais vu ! L’objectif était ambitieux. La préparation de ce projet a nécessité plus d’un an, mais je ne considère pas cela comme une difficulté.

 

En quoi cette expérience fut-elle différente pour vous ?

 

Comparativement aux films que j’ai réalisés jusqu’à présent, le budget alloué ici était trois a quatre fois supérieur car il s’agissait de faire le dernier film de Godzilla. Et comme il devait aussi marquer le cinquantenaire de son histoire, je ne pouvais pas faire n’importe quoi. Donc la barre était vraiment placée très haut.

 

Propos recueillis par Alain Schlockoff

 

 

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