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La
Toho est une des cinq major companies
du cinéma japonais, avec la Nikkatsu,
la Shochiku, la Daiei et la Toei,
mais c'est sans doute la plus célèbre de toutes. Au départ simple laboratoire
de photo portant le nom de PLC (Photo Chemical Laboratory), elle commence à
produire ses premiers films en 1933 et adopte le nom de Toho - qui signifie
"trésor de l'Est" - en 1936. En plus de soixante-dix ans
d'existence, elle a toujours symbolisé l'ambivalence du cinéma japonais en
produisant d'un côté des films d'auteurs austères et exigeants vénérés par
les cinéphiles (les œuvres de Kurosawa ou de Naruse), de l'autre des films
d'aventures ou de science-fiction totalement délirants (la série des Godzilla) qui font la joie du jeune
public.
I. Des débuts troubles Durant ses premières années
d'existence, la Toho se consacre à une production avant tout commerciale. Son
réalisateur le plus prolifique est alors Kajiro Yamamoto qui tourne une série
de comédies centrées sur l'acteur Kenichi Enomoto dit "Enoken" : Enoken no seishun suikoden (La
jeunesse accomplie d'Enoken, 1934), Enoken
no chakkiri (Enoken pickpocket, 1940), etc. La firme compte également
dans ses rangs quelques jeunes talents comme Mikio Naruse ou Akira Kurosawa,
qui fait ses débuts avec Sugata
sanshiro (La légende du grand Judo, 1943). |
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Trois ans à peine après sa création,
la Toho doit déjà affronter une crise majeure : la Seconde Guerre Mondiale.
Le régime militaire japonais demande alors à toutes les compagnies
cinématographiques du pays de ne produire que des films de propagande
nationaliste. La Toho s'acquitte de sa tâche sans
rechigner et confie à Yamamoto le soin de réaliser des films tels que Hawai Mare ooki kaisen (La guerre
navale de Hawaii à la Malaisie, 1942) – qui marquera les débuts d’ Eiji
Tsuburaya - ou Raigekitai shutsudo
(En avant les escadrons de torpilleurs !, 1944). Même Naruse doit y
collaborer, en réalisant le film Hataraku
ikka (Toute la famille travaille, 1939). |
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La fin de la guerre ne signifie pas
la fin des ennuis pour la Toho : au contraire, ceux-ci s'amplifient. En 1947,
la compagnie est touchée de plein fouet par les grèves pro-communistes qui
agitent toute l'industrie du cinéma japonais. A la Toho, le conflit est si
violent qu'il débouche sur une scission. En 1948, la moitié des techniciens
claquent la porte pour fonder une compagnie concurrente, la Shin-Toho (en français, la "nouvelle Toho").
Celle-ci ne soutient guère la comparaison avec sa rivale. Tous les cinéastes
un tant soit peu talentueux sont restés à la Toho, et la Shin-Toho doit se
contenter d'une production commerciale bas de gamme composée essentiellement
de films de sabre (les chambaras) et de films érotiques. De 1948 à 1961, date
à laquelle elle met finalement la clé sous la porte, elle ne délivre qu'une
œuvre majeure : Saikaku ichidai onna
(La vie d'Oharu, femme galante, 1952) de Kenji Mizoguchi. Pendant ce temps,
la Toho prend enfin son essor et connaît un véritable âge d'or qui va durer
près de vingt ans. |
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II.
Des films de prestige En 1948, Akira Kurosawa collabore
pour la première fois avec l'acteur Toshiro Mifune sur le tournage de Yoidore tenshi (L'ange ivre).
Ensemble, ils vont livrer à la Toho ses plus grands chefs-d'œuvre, qui feront
beaucoup pour la renommée du cinéma japonais à l'étranger : |
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Shichinin
no samurai (Les sept samouraïs, 1954), Kumonosu-jo (Le château de l'Araignée,
1957), Kakushi toride no san akunin
(La forteresse cachée, 1958), Sanjuro
(1962), Akahige (Barberousse,
1965)… Il s'agit pour la plupart de jidai-geki (films historiques) en noir et
blanc, souvent inspirés de classiques de la littérature occidentale.
Mikio Naruse se distingue aussi, mais
dans un autre genre : le shomin-geki, qui décrit la vie quotidienne de
familles japonaises. Pour la Toho il signe notamment Okasan (Maman, 1952), Yama
no oto (Le grondement de la montagne, 1954) et Ukigumo (Nuages flottants, 1955). Dans tous ses films, il
s'attache à mettre en valeur les personnages féminins, interprétés par des
actrices talentueuses comme Hideo Takamine et Kinuyo Tanaka. |
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III. Le Kaiju Eiga
Cette expression japonaise signifie
littéralement "film de monstre". C'est un sous-genre du cinéma
fantastique dans lequel une créature gigantesque surgit de nulle part pour
ravager le Japon, avant d'être finalement mise hors d'état de nuire par
l'armée. A l'origine du kaiju eiga on trouve le réalisateur Inoshiro Honda et
le spécialistes des effets spéciaux Eiji Tsuburaya. Tous les deux ont en
commun une passion pour le film américain King
Kong (Schoedsack et Cooper, 1933), qui peut être considéré comme
l'ancêtre du kaiju eiga. En 1954, les deux compères mettent en
chantier pour la Toho une variante japonaise de King Kong, Gojira (qui deviendra par la suite
Godzilla). La vedette du film est un dinosaure ramené à la vie par les
radiations atomiques des bombes américaines et qui donne libre cours à sa fureur
en ravageant la ville de Tokyo. A la fois bon divertissement et réflexion sur
le péril nucléaire, Gojira s'impose
comme un véritable phénomène de mode au Japon, attirant près de 10 millions
de spectateurs dans les salles. Hollywood ne pouvait pas passer à côté d'une
telle poule aux œufs d'or : Columbia
s'empresse de racheter les droits de distribution du film et le diffuse à
l'étranger à partir de 1956, dans une version remontée qui inclut des scènes
avec des acteurs américains, dont Raymond Burr. Dès 1955, la Toho en produit
une suite, Gojira no gyakushu
(Godzilla Raids Again, Motoyoshi Oda), tandis que les autres studios japonais
tentent de prendre le train en marche en tournant eux aussi des
films-catastrophes avec des monstres géants : la mode du kaiju eiga est née,
et va faire fureur au Japon pendant près de vingt ans. Pionnière du genre, la
Toho crée de nouveaux monstres comme Rodan, le ptérodactyle géant (Rodan, Inoshiro Honda, 1956), mais
exploite surtout le filon Godzilla. Le pauvre dinosaure se voit précipité
chaque année dans des aventures de plus en plus improbables où il croise King
Kong (Kingu Kongu tai Gojira,
Inoshiro Honda, 1962), Mothra la mite géante (Mosura tai Gojira, Inoshiro Honda, 1964) et même son propre fils
(Gojira no musuko, Jun Fukuda,
1967). La série s'interrompt en 1975 après Mekagojira no gyakushu (Terror of Mechagodzilla) de l'inamovible
Inoshiro Honda. |
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De gauche à droite : Sadamasa
Arikawa, Inoshiro Honda, Eiji Tsuburaya et Tomoyuki Tanaka possent avec le
casting bestial de Destroy Al Monsters |
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IV. Le déclin de la Toho Au début des années 70, rien ne va
plus à la Toho. Les réalisateurs indépendants comme Nagisa Oshima ou Shoei
Imamura critiquent la politique commerciale des grands studios tandis que la
concurrence de la télévision se fait de plus en plus forte. Godzilla n'amuse
plus personne, Mikio Naruse n’est plus là (il décède en 1969) et pour
couronner le tout, Akira Kurosawa est en pleine dépression après l'échec de Dodes' kaden (1970). Pour éviter la faillite,
la Toho doit réduire peu à peu sa production. En 1975, elle fusionne avec la
société de distribution Towa et devient la
Toho-Towa mais sa situation reste précaire. Seuls quelques films de série
B lui rapportent encore un peu d'argent, comme Shurayukihime (Lady Snowblood, Toyisha Fujita, 1973) et sa suite Shurayukihime : Urami renga (Lady
Snowblood 2, Toyisha Fujita, 1974). Ces chambara cultissimes inspireront
Quentin Tarantino pour la séquence finale de Kill Bill, Vol. 1 (2003). Dans Kill Bill, le personnage
d’O-Ren Ishii (interprétée par Lucy Liu) fait référence au personnage de Lady
Snowblood |
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La vénérable compagnie pousse son
chant du cygne en 1980 avec Kagemusha,
d'Akira Kurosawa, qui décroche la palme d'or au festival de Cannes.
En 1984, elle réactive Godzilla en
produisant un remake du film de 1954 réalisé par Koji Hashimoto, ce qui
déclenche un nouvel engouement pour le dinosaure atomique. Une dizaine de
films supplémentaires verront le jour mais il s'agit surtout de remakes des
classiques des années 50 (Mosura Vs.
Gojira, 1992, ou Gojira Vs.
Mekagojira, 1993, tous deux signés Takao Okawara), et mêmes les scénarios
"originaux" (Gojira Vs. Supesugojira,
Kensho Yamashita, 1994, ou Gojira Vs.
Desutoroia, Takao Okawara, 1995) sentent quelque peu le réchauffé. La
dernière apparition en date de Godzilla aura lieu dans le cadre du film Gojira : fainaru uozu (Godzilla: Final Wars, Ryuhei Kitamura,
2004). Même les Etats-Unis se sont pris au jeu en produisant leur propre
Godzilla, réalisé en 1998 par Roland Emmerich. A part ces films de bas étages
la Toho ne produit pratiquement plus de longs métrages depuis vingt ans, et
semble aujourd'hui se redéployer vers les séries télévisées et le dessin
animé. Dans ce domaine, elle a récemment produit des spécialistes du genre
comme Mamoru Oshii (Ghost in the shell
2, 2003) ou Katsushiro Otomo (Steamboy,
2003). |
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V. La Toho en DVD
Récemment la Toho s'est doté d'une
branche DVD, ce qui lui permet d'éditer elle-même ses films au Japon. Son
catalogue reprend bien sûr tous les Godzilla et la plupart des films de
Kurosawa mais curieusement Mikio Naruse est oublié. A l'étranger, les films
produits par la Toho sont dispersés entre plusieurs éditeurs : aux
Etats-Unis, Criterion a réédité la
majorité des films de Kurosawa, et quelques épisodes de Godzilla sont
disponibles chez Columbia.
L'indépendant Koch Vision
Entertainment détient les droits sur les deux Lady Snowblood, ces deux films
étant également disponibles en version tronquée (et en zone 2) chez l'Anglais
Warrior. En France, la
filmographie de Kurosawa est largement couverte, que ce soit par MK2 (Kakushi toride no san akunin, Sanjuro,
Akahige, Dodes' kaden), Les Films
de ma vie (Kumonosu-jo) ou Arte Video (Kunna yome o mita, Hachigatsu
no kokyogaku, Madadayo). Studiocanal a consacré des coffrets
aux vieux Godzilla (Mosura tai Gojira
par exemple), tandis que les aventures plus récentes du dinosaure atomique
ont été rééditées par l'indépendant Aventi
(Gojira Vs. SpaceGodzilla, Gojira Vs. Destroyah). |