Tokyo!

L’affiche française

I. Synopsis du triptyque

 

Le film est composé de trois chapitres, chacun d'entre eux étant librement inspiré par Tokyo et tourné au coeur de la ville...

 

  • Interior Design de Michel Gondry

Un jeune couple tente de s'installer à Tokyo. L'ambition du jeune homme est claire, devenir réalisateur. Quant à sa compagne, plus indécise, elle a le sentiment diffus de perdre le contrôle de sa vie. Tous les deux se noient dans cette ville sans repères, jusqu'à ce que la jeune femme, trop seule, devienne l'objet d'une étrange transformation...

 

  • Merde de Leos Carax

Une ignoble créature sème la panique et la mort dans les rues de Tokyo. Les médias la surnomme "La Créature des égouts". L'armée finit par la capturer. Il s'agit d'un homme d'une civilisation inconnue, qui se fait appeler Merde. Son procès déchaîne les passions.

 

  • Shaking Tokyo de Bong Joon-ho

Depuis plus de dix ans, il est hikikomori. Il vit enfermé dans son appartement, réduisant au strict minimum tout contact avec le monde extérieur. Lorsque la livreuse de pizza s'évanouit chez lui durant un tremblement de terre, l'impensable arrive, il tombe amoureux. Peu après il apprend que la jeune fille devient hikikomori à son tour. Osera-t-il franchir la porte qui sépare son appartement du reste du monde ?

 

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Les trois réalisateurs (de gauche à droite) : Michel Gondry, Leos Carax et Bong Joon-ho

 

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II. Merde

 

Leos Carax (biographie disponible ici) réalise le second volet de ce triptyque : Merde. Le court, d’une durée de 36 minutes (et tourné au format vidéo) pose les bases dés les premières minutes. Sous sommes là en présence d’un film de créature (dixit Leos Carax) ; le film emprunte divers éléments aux films de monstres nippon.

 

Actuellement, Merde marque les retrouvailles entre Leos Carax et son acteur fétiche, Denis Lavant, qui incarne la créature.

 

 

Analyse du métrage :

 

(N.B. : Le minutage prend comme base le minutage du film à lui tout seul, pour avoir le minutage du DVD (soit le montage des trois courts), ajouter à chaque durée, 36:06)

 

00:00 à 01:10 : Générique

Le premier plan que l’on voit est le titre du film, Merde, écrit en grosses lettres blanches sur un fond noir, comme l’avait fait Inoshiro Honda pour Godzilla (1954). Ensuite, un logo japonais se superpose (image ci-dessous). Le plan suivant est un plan panoramique de Tokyo, en présentant les principaux acteurs (Denis Lavant et Jean-François Balmer), le tout accompagné du thème de Godzilla. La caméra zoome ensuite vers une bouche d’égout, qui se soulève, puis nous voyons une main. A noter que l’on entend à plusieurs reprises un cri de corbeau, qui reviendra dés que l’on verra Merde.

 

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01:10 à 04:20 : L’apparition de Merde

Nous assistons à la première apparition de la créature. Il s’agit d’un homme vertu d’un ensemble en velours vert, avec des ongles assez long, des cheveux et une barbe (avec un très long bouc) roux, et dont l’œil droit est crevé. Nous le suivons arpenter une rue de Tokyo, où il se saisit de divers objets aux passants : cigarette, béquille, fleurs, puis porte-monnaie. Une indication sonore (le chant Jingle Bells) nous indique la période : nous sommes en Hiver, à l’approche des fêtes de Noël. De nouveau, nous entendons le thème de Godzilla à deux reprises. Il est intéressant de noter que l’on voit diverses enseignes de magasins assez chics (Chanel, Cartier, …). La scène se conclut à l’inverse du début, Merde retourne dans les égouts.

 

04:20 à 06:07 : Journal télévisé

Tout commence par cette phrase de la journaliste : « Tokyo a peur ». L’apparition de Merde y est racontée. Divers témoignages suivent. Le plus intéressant d’entre eux est sans conteste celui de la personne âgée, dont la démarche (censée imiter celle de Merde) rappelle celle d’un kaiju. De plus, le fond sonore accompagnant cette scène est un extrait de « Ootojima Temple Festival », autre morceau composé par Akira Ifukube pour Godzilla 1954. La musique accompagnant les premières images du journal est « Spirituals for Orchestra », composée par Morton Gould pour le film L’armée des Ombres ; cette musique sera reprise à plusieurs moment dans Merde.

 

06:07 à 08:47 : La tanière de Merde

Cette scène se différencie des autres par son absence de bruit. Nous suivons la créature dans les souterrains. Nous pouvons remarquer la présence d’un tank, puis de divers objets datant de la seconde guerre mondiale, entreposés ici, parmi eux, des bombes. Merde se saisit de plusieurs d’entre elles.

 

08:47 à 11:05 : Apparition de nuit

Dans cette scène, Merde fait sa première apparition de nuit, et de plus, sa première apparition meurtrière. Nous le voyons déambuler dans les rues de Tokyo et s’amuser à jeter ses grenades. Les gens terrorisés courent dans tous les sens, mais n’échappent pas à leur assassin. Plusieurs plans montrent Merde piétiner les corps sans vie de ses victimes. La séquence débute avec un autre morceau de bande originale du Godzilla originel (« Anxieties on Ootojima Island ») et finit par le rugissement du King of Monsters. A noter également d’une part, que la sortie de Merde est filmée en plongée (accompagné du cri de corbeau), comme lors de sa toute première apparition ; d’autre part, cette scène est à mettre en relation avec la première attaque de Godzilla, où ce dernier détruit tout sur son passage.

 

11:05 à 12:54 : L’arrestation de Merde

Les premières images de cette séquence montre des civils regardant les informations sur les grands écrans de la ville ; nous ne sommes pas si éloignés des alerte de la G-Force sur les mêmes écrans (cf. la scène d’ouverture du jeu Godzilla: Save The Earth). Dans la seconde partie, nous retrouvons Merde dans son refuge. Un raid militaire se dirige vers lui et procède à son arrestation.

 

12:54 à 13:42 : L’avocat

Nous somme ici en présence de la seule scène se déroulant à Paris. Tout commence par un plan s’ensemble de la capitale (accompagné de la Marseillaise), avec la vue de la Tour Eiffel. Puis fondu vers une salle de justice. Nous y voyons tout d’abord une main posée sur le buste de Marianne, puis l’avocat se révèle. Il ressemble énormément à Merde.

 

13:43 à 14:58 : Nouvelle édition

Une nouvelle édition du journal télévisé, qui raconte l’arrestation de Merde et le fait qu’il reste muet quand on l’interroge. Ensuite, les histoires les plus invraisemblables sont évoquées : Merde serait membre d’Al-Qaïda, il serait visible dans un film pédophile hongrois, il s’agirait d’un pianiste disparu 17 ans plus tôt, … On apprend que l’avocat ne le connait pas mais qu’il est en mesure de communiquer avec lui.

 

14:58 à 15:22 : Voland arrive à l’aéroport

Cette courte scène conclut la précédente, nous voyons l’avocat arriver à Tokyo. Nous pouvons remarquer ses gouts vestimentaires : pantalon orange et veste verte.

 

15:22 à 21:01 : Interrogatoire de Merde

Cette longue scène débute par un travelling où nous suivons 2 policiers allant chercher Merde pour l’amener à la salle d’interrogatoire. Il est attaché et Voland, commence à lui parler, dans une langue inconnue. Merde ne lui répondra qu’à partir de la 18ème minute. Après leur échange, la scène se poursuit par un face à face entre Voland, le magistrat et son interprète. On apprend enfin, de manière officiel, le nom de la créature : il veut qu’on l’appelle Merde.

 

21 :01 à 21 :47 : 3ème édition

De nouveau, nous avons droit à un journal télévisé. Cette fois, deux informations importantes ; la première suite à l’affaire Merde, le gouvernement à décidé de durcir les méthodes d’entrée des étrangers sur le territoire (on nous dit que deux hommes, barbus, se sont fait agressés) ; seconde chose : lors de son procès, Merde sera défendu par Maitre Voland, qui compte bien plaider la démence de son client. Une nouvelle fois, utilisation du morceau « Ootojima Temple Festival ».

 

21:47 à 28:12 : Le procès

Le procès se déroule dans le calme le plus total. Merde est interrogé par les magistrats. Par des effets de style, l’écran se découpe en plusieurs petits écrans suivant les plans, pour montrer différents axes de vue. Lorsque Merde colle ses ongles au micro, on peut entendre une combinaison du cri de Godzilla et du cri de corbeau habituel.

 

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28:12 à 29:38 : Manifestations

La scène fait suite au procès, où nous voyons deux camps s’opposer, les « Anti-Merde » avec leur slogan « Pendez Merde » et les « Pro-Merde » avec leur slogan « Libérez Merde » (on peut faire le lien avec les manifestations anti-Agent Jaune à la fin de The Host, de Bong Joon-Ho, également réalisateur d’un autre segment de Tokyo ! : Shaking Tokyo). La scène se poursuit par une nouvelle édition du journal télévisé, où après quelques stock shots (les images du Pape et les émeutes), Merde est montré comme une vedette, il est vénéré comme un dieu dans une secte, où ses fidèles (des japonais) tentent de lui ressembler, et un autre plan montre des centaines de figurines à son effigie. La scène se conclut par un plan de la journaliste disant que le verdict du procès sera connu le lendemain.

 

29:39 à 35:37 : Condamné à mort

Tout commence par l’inscription « Condamné à Mort ». A partir de là le film se passe trois ans plus tard, on peut donc imaginer que Merde est resté emprisonné pendant 3 ans. Des gardes viennent le chercher pour son exécution, Voland et son interprète (incarnée par Julie Dreyfus) sont présents. La caméra suit par un traveling en légère contre-plongée le groupe. Le plan qui suit montre Merde la corde au cou. Après une dernière prière, la trappe s’ouvre et Merde est déclaré mort par le légiste. La scène suivante nous montre qu’il bouge encore, tel une chenille. Merde retire le bandeau qui lui caché la vue, et regarde le public de son œil crevé. Par un tour de passe-passe la caméra (et le public) se focalise sur la gaine d’aération, et en regardant à nouveau la baie vitrée, le public remarque avec stupeur que Merde à disparu. Le film se conclut par un plan de la corde, allant de droite à gauche. Il est intéressant de noter que cette scène débute et par le rugissement de Godzilla (accompagné du morceau « Sinking of Bingou-Maru ») et se conclut par le cri du corbeau.

 

35:37 à 35:47 : Merde à New York

Cette ultime séquence débute une dernière fois par le rugissement de Big G et le film finit par un clin d’œil, en imaginant une suite au film, « Merde in USA », avec un billet de 5$ à l’effigie d’Abraham Lincoln, avec l’œil et la barbe de Merde. Le dernier plan est un carton avec l’inscription : Un film de Leos Carax.

 

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III. Interprétation et allusions

 

Merde met avant tout l’accent sur la différence de cultures, la créature est une métaphore de l’incompréhension de l’étranger (Nous pouvons l’adapter à un grand nombre de situations et d’endroits sur Terre).

 

Merde est un homme roux, barbu et sale, parlant une langue comprise et parlée par un nombre extremement réduit de personnes (2 ou 3 si l’on en croit les informations du film). Il est donc la personne la plus éloignée de la population nipponne et donc facilement assimilée à un monstre.

 

En plus de ça, le métrage rend hommage aux films de monstres tels que Godzilla, mais cette fois réduit à taille humaine (personne n’a remarqué la couleur du costume de Merde, ni même le langague inconnu qu’il piaille ??).

 

Enfin, le jugement de la bête qui finit par s’échapper, tel un kaiju que les misiles des tanks ne blesse guère. Dans ces deux cas, l’autorité est nulle face à la créature, qu’elle soit de taille démesurée ou humaine. D’ailleurs, l’énorme marque noire dans le dos de Merde, ne rappelle à personne les épines dorsales de Big G ?

 

Le film prend quelques points de l’histoire comme base (même si c’est plus subtil que dans certains kaijus eiga), où Merde, dans sa tanière, part chercher des grenades, en passant devant un mur où est inscrit « A nos héros de Nankin ». Pour replacer les choses dans son contexte, en 1937, l’armée japonaise massacra une partie de la population chinoise à Nankin. Merde se saisit de ces bombes, et part à son tour faire un massacre, de la population japonaise cette fois.

 

 

A son procés, Merde dit que sa mère était une femme magnifique et que nous tous l’avons violé, n’est-ce pas là un moyen détourné qui revient à dire qu’il s’agit de notre folie qui a engendré des monstres ?

 

IV. Deux hommes unis dans l’incompréhention – Biographie des acteurs

 

 

 

Denis Lavant est né le 17 juin 1961 à Neuilly-sur-Seine, en banlieue parisienne. Il a amorcé sa carrière par le théâtre tout en faisant quelques apparitions dans les films de Robert Hossein, Diane Kurys, et Patrice Chéreau.

 

En 1983, il est révélé au public par Leos Carax dans le film Boys meets girl. Très vite, il deviendra l'acteur fétiche du réalisateur qui le dirigera ensuite à deux reprises aux côtés de Juliette Binoche dans Mauvais Sang (1986) et Les Amants du Pont Neuf (1991).

 

Après avoir été filmé par Simon Reggiani (De Force avec d'autres, 1993) ou Kim Ki-duk (Wild animals, 1997), il revient en force en 2000 dans Beau travail de Claire Denis dans lequel il interprète un militaire immergé dans le rude contexte de la Légion étrangère.

 

En 2004, il est à l'affiche d'un Long dimanche de fiançailles de Jean-Pierre Jeunet. Après avoir éprouvé une passion autodestructrice pour Isild Le Besco dans Camping sauvage (2006), on le retrouve dans le rôle titre du Capitaine Achab en 2008. Il joue aussi dans Merde (de Leos Carax), 2ème segment du film Tokyo!.

 

 

 

Jean-François Balmer

Figure familière du cinéma français, Jean-François Balmer a tourné sous la direction d'auteurs français aussi illustres que Pierre Granier-Deferre, Yves Boisset, ou Claude Chabrol.

 

Après une formation en art dramatique au Conservatoire de Paris, il débute au cinéma sous la houlette d'Yves Boisset dans les films R.A.S et Le Mouton enragé (1974). En 1978, il est nominé au César du Meilleur second rôle masculin pour sa prestation dans le film La Menace. Il joue ensuite dans Une étrange affaire de Pierre Granier-Deferre, La Révolution Française de Robert Enrico ou encore Madame Bovary de Claude Chabrol.

 

Après L'Ivresse du pouvoir (2006), ou encore Le Grand appartement (2006) de Pascal Thomas, on le retrouve en 2008 dans Merde (de Leos Carax), 2ème segment du film Tokyo!.

 

En 2009, on le retrouve à l'affiche de Lucky Luke de James Huth, aux côtés notamment de Jean Dujardin, Michaël Youn et Sylvie Testud. Il y tient le rôle de Cooper.

V. Ce qu’en pense Carax

 

Lors de la promotion de Tokyo !, Leos Carax déclarera en interview s’être beaucoup inspiré de Godzilla :

 

 

En fait j’ai découvert le Godzilla, enfin le vieux Godzilla plus tard, je l’avais jamais vu. Mais à partir du moment où j’écrivais sur une créature et que cette créature s’attaquait à Tokyo, j’ai pensé a voir le film et c’est surtout le fait que j’ai une petite fille de, qui avait à peu prés 3 ans. C’est surtout ça. Elle est tombée amoureuse de Godzilla en voyant le film avec moi, en DVD, à la maison, et c’est son attachement à elle, à la créature qui m’a un peu inspiré pour le film, donc j’ai utilisé la musique et j’ai trouvé la créature de Godzilla assez touchante et réussie, qui allait bien dans le sens de mon film, etc.

 

Mais d’autres créatures, enfin c’est un film de créatures donc aussi bien Godzilla, King Kong, que Dr. Jekyll et Mr. Hyde ou Charlot, la créature de Charlot, qu’a inventé Charlie Chaplin, toutes ces créatures, qui sont des enfants, des monstrueux enfants, qui sont nos monstrueux enfants. C’est une sorte de tradition dans le cinéma que ces monstres là, et Merde est, ma petite création à moi.

 

Leos Carax, 2009

 

 

VI. Petits clins d’œil aux kaijus dans les autres segments

 

-          L’actrice principale dans Interior Design est Ayako Fujitani, qui interprète Asagi Kusanagi dans la trilogie Gamera.

-          Le réalisateur de Shaking Tokyo est Bog Joon-ho, le réalisateur de The Host.

 

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